Diplomashow
Notre destin en téléréalité. Le nouvel ordre du monde.
De la diplomatie au “diplomashow”
La diplomatie emporte avec elle l’imaginaire du secret et de la discrétion. Elle se déroule derrière de lourdes portes fermées où il peut se négocier ce que l’on n’oserait dire devant tous.
Le diplomate converse. Il négocie. Il use de la parole.
Peut-être, sans doute, menace-t-il aussi, mais il le fait en huis clos, calfeutré dans une pièce à l’écart du monde. Personne ne saura comment, par quelle fausse politesse ni par quelle vraie brutalité, avec quelle mansuétude ou avec quelle impitoyable indifférence, dans quelle sincérité ni dans quelle mauvaise foi, usant de quel respect ou de quel mépris.
Mais le monde a changé. Il n’a plus de portes. Il rechigne au huis clos et à la simple présence. Il a des caméras et des réseaux sociaux. Il est devenu monde-spectacle, matrice médiatique, monde-récit : Storyworld.
Et dans le Storyworld, la diplomatie est devenue un grand show : le “diplomashow”.
Qu’est-ce que le diplomashow ?
Le diplomashow, un récit transmédia inspiré par la téléréalité
Le diplomashow est un spectacle qui utilise tous les canaux à sa disposition pour tisser sa narration : les réseaux sociaux, la télévision, les communiqués de presse. Il peut se faire par diffusion de tweets, par retransmission en direct, ou par enregistrement d’un message à destination de la terre entière, en mode “selfie”. Dans ce cas, le personnage s’enregistre avec son ordinateur ou avec son téléphone portable comme s’il s’adressait à nous, à la façon des influenceurs.
Le diplomashow est donc un récit feuilletonesque qui utilise tous les médias disponibles pour construire son histoire, faire ses effets et nous atteindre. En d’autres termes, c’est une “série transmédia”.
Et la série transmédia du diplomashow relève plus particulièrement d’une forme narrative spécifique : la téléréalité.
Comme dans les programmes de téléréalité, nous suivons les péripéties des personnages censés mener leur vie normale. Mais, au lieu de relater les exploits de naufragés sur une île tropicale1, les frasques de jetsetteurs ou les épreuves de fermiers, le diplomashow nous montre comment ses héros décident de la vie ou de la mort de populations entières.
La téléréalité relève toujours de la fiction : le casting est prévu pour créer des interactions conflictuelles, des situations dramatiques sont mises en place, parfois des pièges, des directions claires sont données aux participants, et le montage crée une ligne narrative indépendante du réel.
Le diplomashow ne déroge pas à ces règles d’écriture et de mise en scène. Ses participants connaissent leur rôle, disposent d’éléments de langage dûment préparés par des communicants (c’est-à-dire des auteurs), et savent à quels points de tension dramatique ils veulent aboutir.
Et sur cette base, ils improvisent.
L’improvisation
L’improvisation est un art bien connu et rodé. Elle tient à la fois de la comédie stand-up et de la compétition sportive, autrement dit du combat spectaculaire.
J’ai repensé à ce rôle de la lutte dans l’improvisation, -dimension dite “agonistique”-, en voyant une affiche hier, lors d’une promenade touristique à Montréal2.
C’est en effet à Montréal, en 1977 qu’est né le “Match d’Impro” où deux groupes de comiques s’affrontent. 1977-2025, presque cinquante ans d’histoire !
On peut parler de tradition, une tradition qui a alimenté les autres formes de divertissement de notre monde-spectacle : téléréalité, sitcoms, débats politiques, interviews, “infotainment”, ces émissions qui mélangent information et divertissement, … et diplomashow.
Dans le combat de l’improvisation, comme dans tous ses dérivés, il n’y a pas beaucoup de subtilité.
Les personnages sont définis par quelques caractéristiques qui sont exploitées en toutes circonstances et qui sont exagérées jusqu’au grotesque. Ils sont mus à la fois par leur fonction dans la distribution générale des rôles et par la logique inhérente à leur fiche personnage.
L’effet comique ou l’attachement sont provoqués par la connivence entre le fan et l’univers narratif : nous savons ce que nous devons attendre du personnage, et en même temps nous sommes surpris par la nouvelle application de ses réactions caricaturales à la situation inédite. Nous l’anticipons. Nous la devinons. Et quand elle se déroule nous sommes tout autant étonnés que confortés : “Ah oui ! bien trouvé !”
Le procédé est bien plus ancien que le diplomashow, le match d’impro ou les sitcoms. Il est inhérent au théâtre. On peut le retracer au moins jusqu’à la commedia dell’arte.
Une forme moderne (et tragique) de commedia dell’arte
Genre théâtral populaire né en Italie au XVIe siècle, la commedia dell’arte était jouée par une troupe de comédiens qui se partageaient des personnages bien établis : Arlequin le serviteur rusé et agile qui manipule pour arrive à ses fins, Polichinelle le grossier paresseux, Colombine la servante vive et indépendante, Pantalon le vieillard avare et ridicule, etc.
A chaque représentation, les acteurs improvisaient le spectacle à partir de leur personnage, de l’actualité, des réactions du public et d’un scénario sommaire appelé “canevas”.
On retrouve le même procédé dans les séries et dans les émissions de téléréalité, à la différence que les acteurs n’improvisent plus, mais que des scénaristes écrivent les situations ou les dialogues en appliquant une “bible narrative” et des “fiches personnages”.
Quelques exemples de personnages et de leurs traits déterminants et excessifs
Dans Friends, Monica est compétitive à l’extrême. Dans toutes les situations, elle devra gagner. Dans Going Dutch, le colonel Patrick Quinn est arrogant et intempestif, il est mu par son obsession de réussite et de rédemption professionnelles. Dans House of cards, Frank Underwood est caractérisé par sa soif de pouvoir et son absence de scrupules.
Dans L’incroyable famille Kardashian, Kris Jenner est l’ambitieuse chef de file, Kim l’organisatrice et Kourtney la spécialiste de la “vie saine”. Enfin, je me trompe peut-être. Je répète les informations fournies par l’agent conversationnel auquel j’ai posé la question, car -je l’avoue- à la différence des séries que j’ai citées plus haut, je n’ai jamais regardé les Kardashian, et je serais même incapable de les reconnaître sur une photo. J’ai d’ailleurs déjà oublié leur prénom entre le début et la fin de ce paragraphe.
Mais l’émission de téléréalité qui nous intéresse le plus dans cette introduction au diplomashow, ce n’est pas les Kardashian mais The Apprentice.
Dans The Apprentice, Donald Trump était autoritaire, impitoyable, sans filtre, et abusif.
Dans les sequels de The Apprentice, -Donald à la Maison Blanche I et II-, Trump a gardé son personnage.
Bien sûr, le personnage a évolué. Et le casting autour de lui s’est diversifié.
“Donald à la Maison Blanche II”: Péplum ou film de maffia?
Trump et sa troupe ne font pas de la commedia dell’arte.
Ils se croient dans un peplum où Trump est l’Empereur tyrannique, fou et corrompu, Vance le Préfet du Prétoire chargé de la protection de l’empereur et de ses sales tâches, et Musk un Patron, un homme riche et influent, qui s’est transformé en Gouverneur chargé de l’administration et de la collecte. Cette série plaît d’ailleurs beaucoup à ses fans obsédés par l’Empire romain et par la puissance3.
En revanche, les autres, - ceux qui subissent le feuilleton avec effroi, sans doute vous et moi-, voient plutôt le diplomashow comme une histoire de maffia où Trump est le Parrain, Vance tout à la fois l’Homme de main et le Sous-chef, et Musk l’Associé qui travaille avec le Parrain mais qui veille surtout à ses intérêts propres.
A vrai dire, le diplomashow n’est ni un peplum ni un film de maffia. Il relève des satires burlesques des dictatures, à la façon de la série The Regime avec Kate Winslet, du film Seneca avec John Malkovitch ou même du film Mickey 17 de Bong Joon-ho où Marc Ruffalo exécute d’ailleurs une excellente imitation de Trump.
Dans Donald à la Maison Blanche II, comme dans toute bonne émission de téléréalité, le casting a été pensé pour faire son effet : La reine du catch à l’éducation, le roi des antivax à la santé, un animateur tv conspirationniste à la défense… Mais ces personnages-là n’apparaissent pas dans les épisodes de la série dédiés au diplomashow. Ils interviennent dans ceux qui concernent la politique intérieure.
D’ailleurs même le Secrétaire d’État, Marco Rubio, dans le diplomashow, n’est qu’un acteur de complément. Il n’a pas réussi à construire un personnage suffisamment grotesque pour prétendre ne serait-ce qu’à un rôle secondaire. Il est un simple faire-valoir des personnages principaux, celui qui reste presque normal pour permettre aux autres d’être intéressants ou drôles, en comparaison.
Alors, à quoi ressemble le pilote du diplomashow auquel nous venons d’assister autour de la guerre entre l’Ukraine et la Russie ? Détaillons sa séquence de lancement que j’ai évoquée au journal de TV5Monde.
Le “Teaser” de la séquence : “Moi tout puissant”
Le diplomashow de la Guerre d’Ukraine commence dès la campagne électorale de Trump quand le Parrain entreprend de reconquérir le pouvoir sur son territoire dans ce qu’il perçoit non pas comme une élection démocratique, mais comme une guerre des gangs.
Trump lance alors un “teaser” du diplomashow à venir, une phrase d’amorce et d’annonce. Il affirme que s’il était président, il ne lui faudrait que 24 heures pour résoudre le conflit, pour faire ce “deal”.
Trump interviewé par Nigel Farage (figure du brexit) sur la chaîne d'information anglaise GB News (chaîne conservative), le 4 mai 2023.
Après cette première amorce, il répètera souvent ce slogan qui affirme la toute puissance de son charisme et de sa volonté, de sa force magique.
Ces “24 heures” ne sont évidemment pas 24 heures véritables, heures de l’horloge, heures du monde réel, heures du Temps Universel Coordonné (UTC).
Ce sont, -comme tout ce que dit Trump d’ailleurs-, 24 heures de son monde prétendu : un monde fictionnel, imaginaire et fictif qui prétend être le monde réel, 24 heures du storyworld qu’il invente et qu’il propage.
Arrivé au pouvoir, Trump doit tout de même acter sa prophétie dans une certaine mesure, ou du moins montrer à ses adeptes comment il s’y prend pour opérer sa magie.
Acte 1. L’installation du monde prétendu de Trump
Bien entendu, le défi est de taille. Pas seulement le défi de faire cesser la guerre en 24 heures réelles ou même en 24 heures prétendues ! Faire cesser la guerre tout simplement.
Et ce défi est de taille parce que les Russes n’ont pas l’intention de faire cesser la guerre, et parce que les Russes font la guerre eux aussi dans une réalité prétendue.
D’un côté, les Ukrainiens sont dans le réel, … enfin autant qu’on peut l’être quand on est en guerre, on ne dit et on ne montre jamais tout dans une guerre.
De l’autre, les Russes ont inventé une réalité prétendue où le régime ukrainien est un régime nazi dangereux et russophobe, face auquel ils se protègent, et dont ils libèrent les populations.
Ainsi, la guerre d’Ukraine n’est pas seulement une guerre de terrain, c’est aussi une guerre des mondes : le monde réel contre les mondes prétendus.
Trump - qui a créé un monde prétendu - est naturellement plus en phase avec le monde imaginaire du Kremlin qu’avec le monde réel de Kyiv.
Pour arriver à ses fins d’une paix ou du moins d’un cessez-le-feu, le plus simple, le plus spontané, pour Trump, c’est donc, bien évidemment, d’établir ses négociations dans le monde prétendu.
Et c’est ce qu’il fait dès le 18 février dans une conférence de presse en Floride.
Trump, président depuis quelques trois semaines, dit à Zelensky : « Vous auriez dû en finir en 3 ans. Vous n’auriez jamais dû commencer la guerre ».
Conférence de presse en Floride de Donald Trump, le 18 février 2025
Cette inversion des causes de la guerre acte le passage de la diplomatie traditionnelle dans le monde prétendu du storyworld de Trump, en phase avec le monde prétendu du storyworld de Poutine4.
La logique maffieuse du monde prétendu de l’axe Washington -Kremlin
Ce monde prétendu de l’axe Washington-Kremlin repose sur une logique partagée par Trump et par Poutine. Il s’agit de la logique des maffieux, la logique de tous les prédateurs qui disent toujours à leur proie :
“Tu es le responsable de ton propre malheur car tu t’opposes à ma volonté de te spolier, de t’utiliser, de te posséder. Si seulement tu cédais sans te plaindre ni résister, tu souffrirais moins.”
L’anthropologue David Graeber expliquait ainsi la naissance et la logique de la dette dans l’histoire de l’humanité :
“Tu es mon débiteur”, dit le gros bras violent au pacifiste désarmé. “Tu es mon débiteur car je pourrais te tuer et je ne te tue pas. Donc, tu me dois la vie.” 5
Ainsi, Trump nous livre ici - dans cette conférence de presse du 18 février - la loi qu’il a décidé d’imposer au monde :
“Tous ceux qui sont plus faibles seront les débiteurs des plus forts, à tous les niveaux, dans le monde, dans un pays, dans une entreprise, dans une famille.”
“Commencer la guerre”, pour Trump comme pour tous les prédateurs de l’histoire, c’est tout simplement ne pas être vassalisé et obéissant, exister avec sa différence et son désir d’autonomie. Résister à son désir.
Devant ces attaques sur le réel, Zelensky ne reste pas silencieux. Il affirme dans une conférence de presse à Kyiv, dès le lendemain, le mercredi 19 février que Trump vit «dans un espace de désinformation» russe.
Conférence de presse du président Zelensky le 19 février 2025, Kyiv.
Zelensky se trompe.
Il ne s’agit pas d’un “espace de désinformation” russe mais d’une réalité prétendue qui est partagée par Trump et Poutine.
Trump ne laissera évidemment pas passer cette résistance narrative de Zelensky, véritable acte d’agression contre son monde prétendu. Un monde prétendu ne tient en effet que grâce au consensus des crédules et des adeptes. Il est imaginaire. L’irruption de la réalité n’est pas tolérable. C’est une attaque vitale aux conséquences sans fin, aux risques apocalyptiques.
En conséquence, le jour même il réagit sur le réseau Truth Social, et continue à établir et à renforcer son monde prétendu, monde qui inverse le coupable et la victime, le bien et le mal.
En français on peut traduire Truth Social par “Réseau Vérité”. Il s’agit d’un réseau social de microblogage que Trump a lancé en 2022 quand il avait été banni de Twitter en raison de tous ses mensonges.
À l’époque, -avant l’ère Musk-, Twitter tentait encore de préserver la prééminence du monde réel et de s’opposer à l’établissement de mondes prétendus. Trump avait donc dû créer son propre réseau pour déployer sa réalité fictive en toute “liberté”6.
Réseau Vérité est ainsi le réseau social au service de la réalité prétendue de Trump, où la vérité n’est pas la “vérité des faits” mais une “vérité de fiction”, c’est-à-dire la logique propre à son monde imaginaire.
Vérité de fiction et vérité des faits
Prenons un exemple pour expliquer la différence entre une vérité de fiction et la vérité des faits.
Dans l’univers fictif de Dune de Frank Herbert, il est vrai qu’il est possible de plier l’espace pour voyager. Tous les événements du storyworld de Dune pourront utiliser cette technique mentale pour outiller le voyage intergalactique. Cette loi “psychophysique” sera vraie dans cet univers imaginaire. Vérité de fiction.
Mais, dans le monde réel, celui où vous et moi nous respirons et nous nous déplaçons, ce n’est pas vrai. Nous ne pouvons pas plier l’espace pour nous déplacer, pas même de notre lit à la cuisine. C’est un fait. Un fait brut. Vérité des faits.
La vérité de Truth Social est donc semblable à la vérité du monde de la saga de science- fiction Dune. Elle ne vaut qu’à l’intérieur du monde imaginaire des Trumpistes. Mais pour eux, puisqu’ils vivent dans ce monde imaginaire, elle est vraie. Elle est conforme à l’univers narratif et normatif de ce monde.
Soyons clairs : la vérité de fiction n’est pas l’équivalent de la vérité des faits.
Si vous utilisez la vérité de fiction de Dune pour sauter d’un immeuble vous ne survivrez pas. Si nous utilisons la vérité de fiction de Trump (ou d’autres7) pour gouverner le monde, nous ne survivrons pas non plus.
Suite de l’Acte 1 et basculement dans le monde prétendu de Trump
Ainsi, pour sauver sa vérité de fiction et son monde prétendu des attaques de Zelinsky, dès le 19 février, sur Truth social, Trump s’en prend directement à lui.
Il doit le décrédibiliser pour réfuter ses propos.
Il l’accuse donc d’être un “dictateur sans élection”, car on le sait, les dictateurs ne disent jamais la vérité.
Tweet du 19 février qui reprend le message original de Trump sur Truth Social, traduction en note8.
A partir de là, la bascule a lieu.
Et au cas où ne nous l’aurions pas encore compris avec les différentes saillies de Vance ou de Musk contre l’Europe démocratique, la conférence de presse du 28 février à la Maison Blanche marque aux yeux de tous l’établissement public du monde prétendu de Trump et de sa loi maffieuse du plus fort.
Ce jour-là, le 28 février, nous réalisons, nous les Européens, que le monde ne sera plus jamais comme avant, que désormais l’allié avec qui nous avions construit notre sécurité matérielle et politique ne vit plus avec nous dans le réel.
Il nous a quittés.
Quant à la suite du diplomashow, nous la découvrons avec stupeur jour après jour. Il est impossible d’en reprendre chaque détail car le spectacle tourne en continu.
Je souhaite cependant souligner une dernière chose : le grand talent de Zelensky dans cet art de la narration transmédia et de l’improvisation.
Zelensky, talentueux participant du spectacle politique
Depuis le début de la guerre, Zelensky a construit avec brio son personnage de combattant courageux et dévoué : un vrai “serviteur du peuple”, titre de la série dont il tenait le rôle principal avant de créer son parti politique du même nom.
Ainsi, il poste régulièrement des vidéos qu’il tourne lui-même en mode selfie, avec son ordinateur dans son bureau ou depuis son téléphone portable, comme un influenceur. On peut les retrouver sur le site de la Présidence ukrainienne.
Dans ces vidéos sous-titrées en anglais, qui commencent par une formule comme “Chers Ukrainiens” et qui se terminent avec un “Gloire à l’Ukraine”, il ne parle pas seulement aux Ukrainiens. Il parle au monde. Il fait son diplomashow.
Il donne des informations sur les attaques russes, fait passer ses messages sur les intentions résolument belliqueuses et agressives de Poutine, demande de l’aide, remercie les braves et les alliés. Il donne aussi le compte-rendu de ses appels téléphoniques avec les dirigeants du monde, de ses rencontres stratégiques et des négociations.
Dans la première vidéo postée après la conférence du 28 février à la Maison Blanche, il tente d’apporter une suite apaisante au cliffhanger de l’épisode [suspense final], en remerciant les Américains et en réaffirmant son désir de diplomatie.
Vidéo du 3 mars 2025 à Washington, avant le retour en Ukraine.
"Nous avons de la gratitude pour tout le soutien que nous avons reçu des Etats-Unis. Il n’y a pas eu un seul jour où nous n’avons pas ressenti de la gratitude.”
Il est intéressant de noter que, dans cette série vidéo, Zelensky s’adresse au monde tout en s’adressant aux Ukrainiens, alors que dans la fameuse séquence de la conférence de presse du 28 février, Trump et Vance s’adressaient aux Américains en feignant de s’adresser à Zelensky.
Dans les deux cas, on voit la perméabilité qui existe entre le diplomashow international et le show politique intérieur.
Nous en avons eu un exemple très récent en France également.
Le nouvel ordre mondial
Le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, en campagne pour la présidence de son parti, Les Républicains, voulait montrer à ses électeurs conservateurs qu’il était le chef qu’ils attendaient.
Il a profité d’un événement grave, -une attaque meurtrière opérée au cri djihadiste d’«Allah u akbar» par un Algérien schizophrène, en situation d’obligation de quitter le territoire français (OQTF) -, pour apostropher vivement l’Algérie et raviver une situation de crise interétatique déjà très tendue.
Et pourtant, la politique extérieure de la France n’était pas de son ressort mais de celui du ministre des Affaires étrangères et du Président de la République.
Ainsi, le phénomène du diplomashow nous concerne tous, partout. Il est global et irrémédiable. Il n’y aura pas de retour en arrière.
Le diplomashow et la politique spectacle sont notre nouvel ordre mondial parce que le Storyworld, la matrice médianumérique, est notre nouvel habitat.
Notre seul recours est d’apprendre à les décoder pour éviter – au moins - de nous faire hypnotiser et manipuler.
Notons que le concept de “narration transmédia” a été popularisée par Henry Jenkins dans un livre où il analyse les phénomènes de fanfiction autour de l’émission de téléréalité Survivor (Jenkins, H. (2006). Convergence Culture: Where Old and New Media Collide. New York: New York University Press).
Personnellement, je relie la narration transmédia à Marguerite Duras et à la notion de “traanslation générique” qu’elle a forgée dans son Cycle Indien.
Trouver cette affiche alors que j’écris cet article est un exemple parfait de “butin” ramené d’une dérive situationniste.
L’étude des tendances sur les réseaux sociaux montre un intérêt pour l’empire romain, notamment chez les hommes. Elon Musk prétend partager cette fascination. Voir :
https://theconversation.com/elon-musk-and-the-history-of-the-roman-salute-248032
https://statenews.com/article/2023/10/do-men-really-think-about-the-roman-empire-msu-experts-students-weigh-in?ct=content_open&cv=cbox_latest
Ce basculement dans un monde prétendu proche de celui du Kremlin avait déjà été préparé par J.D. Vance, quelques jours avant, le vendredi 14 février 2025, lors de la conférence de la sécurité de Munich en Allemagne, quand le vice-président affirma que la liberté d’expression était mise à mal en Europe. Cette déclaration s’inscrivait d’ailleurs dans la continuité des prises de positions de Musk en faveur du parti illibéral allemand AFD.
Graeber, D. (2011). Debt: The First 5000 Years. New York: Melville House.
Naomie Klein a nommé cette réalité parallèle et ses médias propres “le monde miroir”.
Dans mon livre sur la Dérive du réel, j’examine d’autres vérités de fiction… comme la néolibérale, l’intersectionnelle, ou la djihadiste. Dans l’absolu, tout storyworld peut finir par créer une vérité de fiction : notre vigilance doit être extrême. Mesurer la distance entre la vérité de fiction et la vérité des faits détermine d’ailleurs la toxicité d’un storyworld, d’un système de croyance.
Voici la traduction du message emprunté au Magazine Le Grand Continent :
“Pensez-y, un comédien au succès modeste, Volodymyr Zelensky, a convaincu les États-Unis de dépenser 350 milliards de dollars pour entrer dans une guerre qui ne pouvait être gagnée, qui n’avait jamais dû commencer, mais une guerre qu’il ne pourra jamais terminer sans les États-Unis et « TRUMP ». Les États-Unis ont dépensé 200 milliards de dollars de plus que l’Europe, et l’argent de l’Europe est garanti, tandis que les États-Unis ne récupéreront rien. Pourquoi Joe Biden n’a-t-il pas exigé une péréquation, dans la mesure où cette guerre est bien plus importante pour l’Europe que pour nous — nous avons un grand et magnifique océan pour nous séparer. En plus de cela, Zelensky admet que la moitié de l’argent que nous lui avons envoyé a « DISPARU ». Il refuse d’organiser des élections, est très bas dans les sondages ukrainiens, et la seule chose pour laquelle il était doué était de manipuler habilement Biden. Un dictateur sans élections, Zelensky ferait mieux d’agir vite ou il n’aura plus de pays. En attendant, nous négocions avec succès la fin de la guerre avec la Russie, ce que tout le monde admet que seul « TRUMP » et l’administration Trump peuvent faire. Biden n’a jamais essayé, l’Europe n’a pas réussi à ramener la paix et Zelensky veut probablement continuer à profiter de la situation. J’aime l’Ukraine, mais Zelensky a fait un travail épouvantable, son pays est en ruines et des MILLIONS de personnes sont mortes inutilement — et cela continue…”
https://legrandcontinent.eu/fr/2025/02/19/comme-poutine-donald-trump-veut-imposer-un-changement-de-regime-a-lukraine-et-menace-desormais-directement-zelensky/




